vendredi 14 avril 2017

Introduction au prochain numéro... Le coup de 💜 d'À poil !


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Céleste referme la porte derrière eux. La respiration de Victoire ne s'est pas altérée. Elle monte prestement dans sa chambre. Aussitôt arrivée, elle éteint la flamme de sa lampe et se déshabille. Céleste a posé délicatement Adrien sur son lit. Les yeux écarquillés, l'enfant attend. Quand elle est entièrement nue, elle défait ses langes. Et lorsqu'il est tel qu'au premier jour, elle se couche et colle son petit corps contre le sien. Ils se reconnaissent immédiatement, les bras d'Adrien s'agitent. Tout son derme s'accroche à elle et, de ce plaisir immense, inespéré, jaillit un halètement doux. Un souffle nouveau qui sort l'enfant de son engourdissement. Peau contre peau, ils se retrouvent.

Victoire se réveille. La chambre est différente. Quelque chose dans son sommeil l'a alertée. Elle allume, le couffin a disparu. Elle se lève. Où est-il ? Ses pas la mènent directement à la chambre de Céleste, et quand, à la lumière vacillante de sa lampe, elle découvre Céleste et Adrien enlacés, sans hésitation, elle se déshabille aussi. Car sa place est près d'eux, sur ce petit lit de fer où Céleste l'accueille. Et leurs trois peaux ne font qu'une. Les uns contre les autres, s'aimer.

Le petit reste contre la poitrine de Céleste, dans le délice de cette sensation nouvelle, de ce corps offert à l'infini. Ils se tiennent ainsi tous les trois, les corps battants, les cœurs à l'arrêt, s'engouffrant sans hésitation dans ce monde glissant, fiévreux, exaltant, de l'amour.
Si l'enfant, uniquement préoccupé de lui-même et de sa survie, ne réalise pas ce qui se joue à cet instant, Céleste et Victoire pleines de leurs éducations, de leurs devoirs, de leurs espoirs et de leurs déconvenues, restent paralysées à l'orée de ce monde nouveau. Elles sentent bien, pourtant, que tous les moments précédents, aussi bien plaisants qu'insignifiants, ont tendu vers celui-ci, vers ce maintenant prodigieux, vers ce seuil qu'elles s'apprêtent à franchir, et qui leur offre ce dont elles avaient rêvé.
Cette nuit, sur le seuil du miracle, la fulgurance dure, et elles osent croire qu'elle ne cessera jamais. L'amour est là où il ne devrait pas être, au deuxième étage de cette maison cossue, protégé par cette pensée bourgeoise qui jusque là les contraignait et qui, maintenant, leur offre un écrin. Point de velours cramoisi, point d'alcôve confortable, mais un lit de fer et une couverture de laine qui leur gratte la peau.
Elles n'osent pas encore bouger, mais seront bientôt prises de vertige. S'aimer de toutes leurs forces, c'est ce qu'elles feront, nuit après nuit. D'abord sans bouger, de peur de briser ce miracle cutané.
Le rituel sera toujours le même. Quand la lune touchera le haut de l'arbre, Céleste descendra chercher Adrien. Victoire, les yeux clos, la laissera entrer et repartir avec le couffin, puis elle les rejoindra laissant choir, sur le parquet de la chambre de bonne, sa chemise de nuit et son je-ne-sais-quoi de soie. Sur la commode, la lampe restera allumée. Elle voudra voir leurs peaux : celle d'Adrien, celle de Céleste.

Ce premier soir, Victoire s'allonge de profil - tout son corps épouse celui de Céleste, couchée sur le dos, recevant l'enfant. Victoire blottit sa tête dans le cou de la jeune femme, et pose sa main sur son épaule.
Tout est incroyablement chaste. Victoire écoute leurs respirations qui se mêlent. Elle est contre ce corps si beau qu'elle a vu dans sa chambre, et puis il y a son odeur, un parfum capiteux et âcre, quelque chose de piquant qui émeut ses narines. La découverte de l'autre.
Céleste sent la fougère, le foin coupé, le vin aigre, la transpiration sous le soleil ardent, la toile de lin rêche, elle s'est imprégnée de l'odeur de ses frères et sœurs serrés contre elle, la nuit. Céleste sent la terre battue et la solitude, toute son enfance, toute son histoire, si loin de celle de Victoire, et maintenant si proche, toute proche.
Victoire ne bouge pas sa main, elle la laisse se gorger de ce corps nouveau. Dans cet éblouissement, elle n'a qu'une pensée : nous sommes enfin vivantes. Et cette réalité prodigieuse la propulse dans le cou de cette femme à un endroit bien précis, derrière l'oreille, sous le lobe gauche, exactement là où la peau se creuse entre nuque et mâchoire. Cet endroit porte un espoir infini, comme une fontaine de peau méconnue des autres, qu'elle vient de découvrir et qui lui ouvre un monde lumineux.
Céleste est vivante et je l'entends respirer. Dans le creux de sa peau, je suis entière. 
 (...)
Victoire, hier, n'a fait aucun bruit. Elle a ouvert délicatement la porte, et s'est déshabillée prestement. pour la première fois de sa vie, Céleste a vu un être se mettre à sa hauteur, aussi minuscule soit-elle. Elle ne s'est jamais sentie plus grande qu'une fougère - elle pourrait se cacher derrière une souche de la clairière et personne ne s'apercevrait de son absence, elle pourrait y mourir, ce serait de même. Hier, dans le simple geste d'une main posée sur son épaule, son corps a enfin grandi, il existe, il s'est lié à l'autre. et ce monde, dans lequel elle a jusqu'ici avancé aveuglément, résignée, opinant à tout sans la moindre résistance, prend une teinte nouvelle, brûlante. Ce simple geste l'a rendue vivante.


(deux extraits de Amours de Léonor de Récondo)

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